Mangez-moi. Part 2

5/5 - (16 votes)

L’an dernier, j’ai écrit un récit autobiographique sur les raisons psychanalytiques et intimes de mon entrée dans le X. Ca s’appelait « Ecrit sur l’eau » et c’était une sorte de suite trash à « Porno Blues ». J’ai soumis ce texte à des éditeurs. Deux ont accepté de le publier. Mais, en le relisant, je l’ai trouvé si cru, si « premier degré », si peu distancié que j’ai préféré le remettre dans ma culotte et ne le faire lire à personne. Il y avait pourtant, dans ce manuscrit, quelques passages anecdotiques pas inintéressants, dont celui-ci, qui parlait de la genèse de « Mangez-moi ». Comme je suis paresseux, je vous le copie-colle ici. Ca m’évite du boulot 🙂

L'affiche
L’affiche

« Le responsable de Canal Plus voulait donc une comédie sentimentale […] Une comédie sentimentale ? C’était au moins la quatrième fois qu’il me faisait cette même demande ; je pense que, de tous mes films, ceux qu’il avait le plus appréciés étaient «24 heures d’amour» et «XYZ».  Le lecteur aura compris qu’à cette époque, je me sentais médiocrement sentimental.

J’ai tourné et retourné l’équation dans ma tête durant trois mois. Comment réussir à fabriquer, avec quarante mille euros, un film de 90 minutes pas ennuyeux, rythmé, offrant de joyeux moments de sexe mais surtout des scènes de comédie marrantes ? J’ai imaginé une variation parisienne des «Liaisons dangereuses» avec des protagonistes geek et «no-life» qui se servent d’internet, Skype, MSN et leur téléphone portable pour rester en contact. Trop compliqué. J’ai imaginé une variation de «Cendrillon» qui se passe dans une petite ville pauvre du Nord, avec une Cendrillon petite ouvrière et un Prince charmant DJ célèbre. Drôle mais trop cher. A vrai dire, je séchais. Plutôt que de réfléchir à un scénario ex-nihilo, j’ai donc fait le point de mes envies. Je souhaitais : un tournage calme et confortable au soleil ; un film dont le tournage génère du bonheur, pour moi et pour l’équipe ; je voulais Liza del Sierra dans le premier rôle (je n’avais jamais fait tourner Liza dans un film), je voulais une histoire qui me surprenne moi-même et m’entraîne dans des voies nouvelles, une histoire par laquelle je me sentirais concerné et qui ressemble à mes préoccupations du moment : quête d’identité, quête de créativité nouvelle, quête de sexualité nouvelle. Un polar en huis-clos ? Avec un meurtre et un inspecteur qui enquête? Et pourquoi pas ? Tuer Liza del Sierra ? Oh oui, métaphoriquement c’était un peu comme tuer ma mère et ça me plaisait beaucoup. […]

J’ai fait le compte des acteurs et actrices avec qui j’avais envie de tourner. J’ai commencé à poser une structure sur le papier. Ca fonctionnait plutôt pas mal. «Un polar ? Avec un cadavre ?» s’est étonné le responsable de la chaîne. «Mais c’est pas du tout une comédie sentimentale, ça… Tu n’as pas l’intention de faire un film violent ou gore, avec du sang, au moins, parce que, tu le sais, ça ne passera jamais…» J’ai rassuré H.G. Il n’y aurait pas de sang et il y aurait des sentiments, de la tendresse et de l’humour.

En juillet, je n’avais écrit qu’une trame maigrichonne et peu convaincante autour de cette idée de départ. Je bloquais, je refusais de sauter l’obstacle. Le tournage était prévu fin septembre ; il fallait que je me donne un coup de pied dans le cul. Lorsque j’ai fait part de mes angoisses d’écriture à mon hypnothérapeute, il m’a dit, en substance, que rien n’était plus important dans ma vie actuelle que d’écrire ce film, qu’il fallait que je me donne les moyens de le faire et que je ne fasse que ça. «Démerdez-vous, quittez Paris, allez dans un endroit calme avec une copine. Ecrivez. Je ne vous donnerai pas de nouveau rendez-vous tant que vous n’aurez pas fini ce scénario.»

Début août, je prenais un avion avec Marla dont j’avais fait la connaissance une semaine auparavant. Destination :  encore une fois Kato Zakros, en Crête. Pendant dix jours, j’ai eu droit aux quatre «S». Sea, sex, sun, script. Le planning de nos journées était immuable. Je me levais à huit heures trente et laissais Marla faire la grasse matinée. Je m’installais sur la terrasse du restaurant avec mon Mac portable. Bain de mer, petit déjeuner. Je passais la matinée à écrire, boire du jus d’orange, nager, écrire, boire du jus d’orange. A midi, j’allais réveiller Marla. Bain de mer, déjeuner de feuilles de vigne, tarama, tsatsiki. L’après-midi se partageait entre baignades, bronzage, balades et écriture. Je lisais le travail en cours à Marla et écoutais ses commentaires et ses questions. A dix-neuf heures, alors que le soleil disparaissait derrière la montagne et que les cigales cessaient de chanter, immuablement, nous remontions à la chambre. Immuablement, nous faisions l’amour pendant une heure. Puis douche, apéritif sur notre terrasse, dîner crétois au restaurant. Côtes d’agneau, dorade grillée, vin blanc de Sitia, olives, raki, raki et encore du raki. Couvre feu à minuit. Ces dix journées sont passées comme dix heures.

Le retour à Paris, à la mi-août, a ressemblé au purgatoire. Mais le scénario était presque prêt. Lorsqu’il l’a lu, H.G. a soupiré : «Mais c’est impossible, Jean, elle est beaucoup trop sombre, beaucoup trop noire, ton histoire… et qu’est-ce que c’est que cette sexualité mortifère ? Liza qui suce avec un flingue sur la tempe, Liza qui se fait étrangler, Coco qui demande à Michael de lui faire mal…? Ca ne passera jamais !» Le salut est venu de mon assistante Claire qui elle aussi avait lu le scénario et qui l’aimait beaucoup. Elle s’est presque fâchée. Et pourquoi ça ne passerait pas ? Ce scénario est beaucoup moins violent et noir que n’importe quel polar au cinéma. La sexualité des filles, dans ce film, ressemble vraiment, pour une fois, à une vraie sexualité de femme et, pour une fois, des tas de spectatrices se reconnaîtront vraiment dans les personnages de Liza ou Coco. Quant au flingue sur la tempe, c’est un jeu entre eux, pas une réelle menace. Je n’avais jamais vu Claire, d’ordinaire douce et silencieuse, aussi véhémente. H.G. était un peu à court d’arguments. «Mais imaginez seulement que parmi les photos de presse, on montre justement celles sur lesquelles on voit Liza en train de sucer Titof avec un revolver pointé sur son front ? Sortie de son contexte, cette image est beaucoup trop tendancieuse. Jamais le service juridique, chez nous, ne laissera passer ça !
– Mais pourquoi ? s’est exclamé Claire. C’est une image normale dans un polar, un flingue !
– Oui, dans un polar, a rétorqué H.G., mais un polar, c’est un film de cinéma. Là, on est dans un porno.
– Et alors, un porno, c’est pas un film ?
– Non, c’est pas un film. Juridiquement, c’est même pas un téléfilm. C’est rien. Pas de visa de censure, pas de CSA, c’est un objet toléré, mais aux risques et périls du diffuseur.»
Claire était sans voix. Ahurie. Elle venait tout juste, trois ans après avoir commencé à travailler dans ma boîte, de comprendre le traitement inique fait au «cinéma pour adultes» par le législateur. Un porno n’est pas un film. Pas même un téléfilm. C’est rien.
J’ai promis à H.G., pour le rassurer, que je tournerais les scènes du flingue en deux versions : une version «director’s cut», avec le vrai revolver et une version avec un pistolet en plastique, et que je tournerais aussi une version sans étranglement et sans gifles des scènes de sexe Liza-Michael et Coco-Michael.

Il nous fallait une grande et belle demeure dans le Sud, capable d’héberger toute l’équipe, soit une bonne vingtaine de personnes et de servir de décor unique au film. Claire a fouillé les sites de maisons d’hôtes, de gîtes de charme sur internet. Sur une quinzaine de propriétaires contactés, moins de la moitié a accepté d’héberger un tournage X. Fin août, Patrick et moi avons passé trois journées, en Corse, dans les hauteurs de Nice, près de Nîmes, à visiter les plus prometteuses de ces maisons. C’est le dernier jour de ces repérages, lorsque j’ai vu la demeure de P., près de Goudargues, dans le Gard, que j’ai compris que j’avais trouvé le lieu du film : la maison mythique. « Madrapour » (1).

(1) Madrapour est un lieu imaginaire qui donne son nom à un roman de Robert Merle. C’est un lieu qui n’existe pas, où l’on n’arrive jamais. Une métaphore de la mort.
J’ai passé le mois de septembre à préparer le tournage. Plan de travail, fignolage du scénario, préparation technique. Je voulais rompre avec le look «vidéo» de mes films précédents et opter pour une image plus cinéma. J’ai testé des caméras nouvelles et fait un choix un peu casse-gueule pour un porno : une Sony F3 avec un capteur super 35 mm et une série d’optiques fixes de chez Zeiss.

J'adorais cette caméra. Avec Claire.
J’adorais cette caméra. Avec Claire.

Pourquoi casse-gueule ? Parce qu’un film X se tourne en cinq jours, à toute vitesse, que l’on n’a droit qu’à une seule prise et que l’on n’a aucun temps pour des préparatifs techniques complexes. Or, le capteur 35 mm et les optiques fixes m’imposaient de travailler en tandem avec un assistant opérateur et de simplifier mon découpage pour ne pas avoir à changer d’objectif sans arrêt.

L’avant-veille du tournage, je suis descendu à Goudargues sur ma moto, avec Marla, en passant par les Cévennes pour le plaisir de rouler. J’ai passé la journée précédant l’arrivée de l’équipe à « Madrapour » à repérer posément tous mes plans et dessiner mes découpages sur mon exemplaire du scénario. Lorsque le cirque Barnum est arrivé, à bord d’un gros minibus et de deux voitures, j’étais fin prêt.

Les gens heureux n’ont pas d’histoire. Ce tournage a été particulièrement heureux, il est donc difficile à raconter. On travaillait, en bonne entente, dans l’amitié. La météo était exceptionnellement clémente pour une fin septembre, on dînait le soir, tous ensemble, de côtes de boeufs et de grillades au barbecue accompagnées de Châteauneuf du Pape, la caméra s’était laissée dompter et nous émerveillait par ses qualités, les acteurs et actrices connaissaient leurs dialogues sur le bout des doigts, les garçons bandaient, sans exception, Roman Roquette, qui n’avait jamais joué la comédie, campait un inspecteur merveilleux d’humour et de légèreté. Oh, bien sûr, il y eut quelques orages : une envolée de chaise dans les arbres lors d’une querelle entre Dist de Kaerth et Liza, quelques larmes versées par Lilith, une charge de bison de Patrick vers Mike, arrêtée de justesse par un blocage de mon assistant réalisateur… des broutilles pour une communauté d’humains vivant les uns sur les autres dans un même lieu et soumis à une forte pression. Chaque soir, avant d’aller me coucher, je pliais les pages du scénario qui avaient été tournées dans la journée et je m’émerveillais que ce soit si facile.

Début octobre, on a complété ce tournage par une journée dans un beau loft parisien, en équipe réduite, pour mettre en boîte les scènes de l’hypnothérapeute avec l’ami Christophe Bier ainsi que la scène de sexe entre Phil et Tiffany.


Jusqu’à la fin novembre, j’ai travaillé seul dans la cave du bureau où est installée ma station de travail. Pré-montage par séquences, montage définitif, étalonnage, montage son, mixage.  Aucun problème. Tout s’emboîtait exactement comme prévu. Si vous regardez le film et que vous lisez le scénario, vous ne verrez aucune différence entre les deux. Tout y est, à la virgule près.
J’ai envoyé une copie du film au service juridique de la chaîne. Une copie « director’s cut » avec pistolet, couteaux, baffes et étranglement. Aucune modification demandée. Bon pour diffusion. La seule question de la juriste fut : « Où ont-ils tourné ça ? Je veux l’adresse pour y aller en vacances. »

La seule info qui manque, dans ce récit, c’est que Nikita Bellucci, quelques semaines avant ce tournage, avait décidé de stopper le X. J’avais écrit le rôle de « Bulle » pour elle. Mademoiselle Lilith a remplacé Nikita au pied levé. Merci à elle. Et merci aussi à Pauline Cooper pour avoir si bien interprété le rôle pas facile que je lui avais écrit : celui de la petite bonne blessée.

3 commentaires Ajoutez le votre

  1. Wpg dit :

    En lisant cela, je regrette que le script du récit ne soit pas disponible! Je pense que ça aurait été fort intéressant 🙂

  2. nico dit :

    Coucou. Vraiment une belle description du processus de preparation d un de tes films. C est dommage que tu n ais jamais voulu publier ce bouquin. Il a l air interessant. Juste une question, c est bien nikita bellucci qui arretait le porno? Parce qu aux dernieres nouvelles elle est toujours actrice aujourd hui. Alors soit tu t es trompe de nom, soit nikita avait une envie passagere de quitter le x mais a finalement decide de rester. Mais en tout cas continue avec ton blog. J aime le lire 🙂

    1. John B. Root dit :

      Oui, elle a eu une hésitation, à cette époque. Et elle a repris trois mois plus tard.

Répondre à Wpg Annuler la réponse